Science dans la société, à la croisée des chemins : la culture scientifique et technologique un enjeu démocratique !

Actualisé le 4 février 2013 à 13 h 08.
Jean Roche, Président de l’Association Nationale des CCSTI
le 31 janvier 2013.

La création d’Universcience en 2010, agence nationale de la culture scientifique, a mis fin à un fragile équilibre, ou plutôt à une ambiguïté politique majeure en ce qui concerne la CSTI située depuis 1986 entre décentralisation et déconcentration. En effet, en 1986 a lieu l’inauguration de la Cité des Sciences et de l’Industrie (CSI) de la Villette, Celle-ci, initiée sous le septennat précédent est pensée comme un « centre de sciences », tel l’Exploratorium de San Francisco qui lui sert de modèle. La CSI est conçue dans le cadre d’une politique de déconcentration. Cette naissance, quasi conjointe avec celle des premiers CCSTI (1985-1989 pour l’essentiel) porte l’espoir, comme le disait notre collègue Danièle Hugon en 2007, « de refondation des rapports entre Science et Société engagée par la Cité des Sciences et qu’on voudrait exemplaire. Elle devait, en effet, servir de locomotive au développement de la culture scientifique et technique en région, particulièrement en direction des CCSTI. » Elle poursuit « Cet objectif n’a jamais été atteint. Les montages de partenariat proposés par la Cité ont, en réalité, privilégié les logiques marchandes de cette institution, quand il aurait fallu les décliner en termes de soutien ou d’aide au développement des projets régionaux. »
Doublé d’un acte symbolique fort du point de vue idéologique, et désastreux du point de vue humain pour ses personnels : la fusion de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette et du Palais de la Découverte, ou plutôt l’intégration du Palais de la Découverte, et par là même qu’il « ne soit plus en état de poursuivre les missions de diffusion des dimensions culturelles de la science et d’éducation populaire qu’il a merveilleusement remplies depuis sa création, notamment auprès des jeunes[1]. » Car c’est bien là un fleuron de l’Education Populaire « université populaire plongeant ses racines dans le peuple de Paris[2] » et « montrant la science en train de se faire [3]», c’est-à-dire une institution plaçant le partage des connaissances comme vecteur d’émancipation qui est attaquée au profit d’une vision de valorisation de la recherche et de l’industrie.
En amont de la question du partage de la culture scientifique et de l’entretien d’un dialogue entre science et société fertile, il s’agit aujourd’hui de nous réinterroger sur les formes de leur mise en place.
Tout d’abord, et il est important de le rappeler, les CCSTI n’ont pas fonction à être des opérateurs de communication scientifique, institutionnelle ou non, mais des outils prétextes à rencontres, rencontres entre les acteurs scientifiques, économiques, sociaux, éducatifs, culturels… et les habitants de nos territoires. Notons l’étymologie du mot : du lat. praetextus «action de mettre devant, prétexte» (de praetexere «prétexter») et issu de texere : tisser dont le participe passé est textus : tissu, trame. Ce tissage, nous disions aussi que nous étions des « tricoteurs territoriaux, est bien au cœur de notre travail, la diffusion des savoirs, le partage de la culture scientifique sont devenus les outils d’interaction entre ces différents acteurs.
Mais cette interaction nous permet de mettre en place une méthodologie critique d’accès et de mise en contexte de l’information. Il s’agit bien de faire sens, de mettre en évidence les liens et les enjeux sociaux, culturels et démocratiques de ces connaissances, de ces concepts nouveaux qui apparaissent en permanence et qui modifient profondément nos manières de vivre et de penser. Car nous en sommes convaincus, la mise en place de dialogues et débats au cœur de la relation entre science et société constitue un enjeu essentiel à la fois pour la démocratie et un développement durable des territoires.
A l’heure des bouleversements écologiques, économiques et culturels mondiaux, les citoyens sont de plus en plus appelés à être acteurs d’un environnement qui se diversifie : démocratie participative, entreprenariat, implication associative… et nouveau partage culturel. C’est donc bien au cœur des territoires que se construisent ces liens produits à la fois de la volonté des pouvoirs publics (Etat et collectivités territoriales) et des scientifiques afin de rendre compte à leurs concitoyens des avancées de la recherche et d’une volonté de co-construction avec l’ensemble des acteurs des régions dans lesquelles ils sont impliqués.
Dans ce cadre le dialogue science société est à la fois une constatation et une exigence. Une constatation car ce dialogue existe, indépendamment des structures de csti et des associations citoyennes, il se constitue dans l’interaction entre sciences et société. Une exigence, car il nous faut participer à le rendre pertinent, intelligible et surtout qu’il devienne fertile et non pathologique comme c’est quelquefois le cas (oppositions stériles, pseudo-débats d’experts, dénis, …). Il y a donc obligation de parler la même langue, interroger le réel avec la même base conceptuelle. Pour cela les outils de CSTI et de dialogue science société doivent être des média de masse car il ne peut pas y avoir de dialogue sans culture, pas de démocratie sans dialogue et donc pas de développement partagé et durable.
Pour cela, les CCSTI demandent que l’acte III de la décentralisation permette de renforcer les réseaux territoriaux de CSTI répartis sur l’ensemble du territoire national avec comme mission de :
– Répondre aux besoins des régions et de leurs habitants en étant les garants d’une prise en compte des enjeux de l’innovation et du progrès tant social qu’écologique et économique ;
– Toucher tous les habitants de notre pays et valoriser le capital de connaissances et de culture qu’ils représentent ;
– Lutter contre les obscurantismes pour garantir une action publique démocratique ;
– Favoriser la sensibilisation et la formation des scientifiques et des acteurs écologiques et économiques à la médiation des sciences et au dialogue science société ;
– Développer l’acte culturel et social que représente une diffusion de la connaissance organisée dans le cadre d’un débat citoyen proposé à tous, ce qui se différencie d’une communication unilatérale (même bien réalisée) des résultats de la recherche et du développement technique et technologique ;
– Tisser et amplifier des partenariats locaux construits au fil du temps et qui restent originaux au sein de l’OCDE ;
– Promouvoir en Europe les partenariats et cette approche originale afin de tisser des liens fertiles pour une économie de la connaissance prenant réellement en compte les aspirations des citoyens et la diversité des territoires.
Pour cela nous demandons à ce que l’Etat reprenne les commandes d’une politique à la hauteur des enjeux et des défis contemporains. Une instance paritaire, interministérielle et territorialisée, dont la forme reste à définir, serait à même de garantir une politique juste et favorisant l’égalité de traitement des acteurs et des actions. Il s’agit en particulier de réintégrer au sein des dispositifs territoriaux à venir une dimension culturelle et scientifique favorisant les partenariats et une véritable ouverture aux publics. Il s’agit de susciter un véritable déploiement en régions allant à la rencontre de nouveaux publics. La mise en place de crédits gérés conjointement entre les DRAC et les DRRT, en partenariat avec les collectivités territoriales, serait la manifestation d’une authentique politique adaptée et contextualisée en matière d’éducation, de formation, de diffusion et de débat citoyen. L’actuelle situation n’est plus possible, elle accentue l’écart entre établissements parisiens et régions, elle fait perdurer une situation financière devenue insupportable pour les acteurs en région. Elle est le signe encore patent d’un Etat qui a renoncé sur ce champ essentiel.
Considérant que :
La connaissance est un des moteurs de l’Europe et l’une de ses principales richesses à partager ;
Qu’une société plus juste impose que les débats démocratiques soient plus fréquents et que pour cela les CCSTI tiennent à ne pas laisser s’installer une balkanisation des représentations (concepts structurants de la pensée, absence de cultures partagées, etc.), rendant impossible tout dialogue.
 
Il faut comprendre pour agir en citoyen
Dans cet esprit, comme l’école de Jules Ferry il y a 130 ans en France, la culture scientifique est aujourd’hui porteuse d’enjeux démocratiques et sociaux.
Sa modernité doit en faire une priorité pour l’avenir de l’Europe et de ses partenaires.
Je voudrais conclure avec des mots de Guillaume Budé[4] : « ici nous ne bâtissons pas avec des pierres, mais avec des hommes » ainsi que de Stéphane Hessel et Edgar Morin[5] : « Les avenirs radieux sont morts, mais nous fraierons la voie à un futur possible. »

 



[1] Assemblée générale de la Sapade (Société des Amis du Palais de la Découverte). 2 février 2011
[2] Jean Perrin
[3] Jean Perrin
[4] 1467-1540, fondateur du Collège de France
[5] Stéphane HESSEL, Edgar MORIN, Le chemin de l’espérance, Fayard, 2011
 

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