Nos identités numériques – interview de Dominique Cardon par la NR

POITIERS PATRICK LAVAUD

Source : Article publié dans la Nouvelle-République du 5 octobre 2016.

Dominique Cardon est sociologue (1). Il intervient ce mercredi à Poitiers sur le thème : “ Les réseaux en clair-obscur et la fabrique de l’identité ”.

Que sont les réseaux en clair-obscur ?

« Une partie des réseaux sociaux, et notamment Facebook, est en « clair-obscur » parce qu’ils sont mi-publics, mi-privés. C’est une manière assez nouvelle de partager des choses de soi avec du public qui n’est pas le grand public. On fabrique son public en choisissant ses amis. On a aussi le moyen d’élargir son réseau en s’abonnant à des gens qui ont une page publique par exemple… »

Avec les réseaux sociaux, on a donc plusieurs identités.

« On a toujours eu plusieurs identités. Nous ne sommes pas la même personne avec nos parents, nos amis, notre patron… Mais les différentes plateformes sur internet renforcent cette possibilité de sculpter une identité en fonction de la plateforme : professionnel sur LinkedIn, cool sur Facebook, séducteur sur Meetic… »

Mais est-on réellement maître de nos identités numériques ?

« C’est le problème. On n’en est pas totalement maître. On nous laisse penser qu’on contrôle notre identité, c’est en partie vrai car on choisit nos amis, mais nous ne sommes pas maîtres de toutes les données. On n’est pas à l’abri que quelqu’un, sous un faux nom (que ce soit notre patron, notre ex, etc.), puisse voir ce que l’on a l’impression de choisir de montrer ou pas. »

Il y a donc un danger…

« Ce sont les nouvelles conditions de nos vies numériques. Il faut vivre avec cette prise de risque. Cela fait aussi partie de l’excitation que peuvent ressentir certains à jouer avec leur identité. Ces réseaux numériques sont des lieux d’autodidactie. On apprend par soi-même. D’où l’importance de l’éducation, de la vigilance. Plus on les utilise, plus on apprend. Les « petits » utilisateurs prennent souvent plus de risques. Il faut faire attention aussi à la sorte d’obligation sociale selon laquelle « il faut être sur Facebook » et savoir résister si on n’en a pas envie. »

Le risque est-il plus grand pour les jeunes ?

« Ce sont toujours les adultes qui ont peur pour les jeunes. Mais les jeunes sont les plus adaptés et ont des facilités plus grandes à apprendre. Ils maîtrisent très bien les notions de confidentialité. En revanche, en matière de réputation, de besoin de reconnaissance, les ados sont plus enclins à prendre des risques avec leur image. Les souffrances existent, comme le cyber-harcèlement. Il y a 30 millions d’utilisateurs de Facebook (les jeunes sont d’ailleurs davantage sur d’autres réseaux comme Snapchat, Whats app ou Instagram). Mais statistiquement, il n’y a pas de hausse de ces souffrances, propre à l’usage de Facebook. »

(1) Sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs et chercheur associé au Centre d’études des mouvements sociaux

Propos recueillis par Laurence Mondon Samit
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