Table ronde avec Dolorès Albarracin, professeure de psychologie à l’université de Poitiers ; Ingrid Auriol, professeure agrégée de philosophie en classes préparatoires de Camille Guérin à Poitiers et Brigitte Greis, infirmière libérale à Poitiers, vice-présidente de l’Observatoire francophone de la médecine de la personnes (OFMP).
Soirée organisée par l’OFMP.
Nous nous soucions de la santé autant que nous nous questionnons sur la vie et la mort. Toutefois nous parlons plus souvent de la santé que de la mort. L’économie, l’organisation de la cité supposent la prise en charge de la santé, de l’éducation à la santé et du soin porté à l’autre, à certains autres du moins, réputés plus faible, plus âgés, plus « malades » que tout un chacun.
Toute société riche et démocratique se doit d’offrir à chacun un « droit à la santé », droit à vrai dire bien étrange. Il en découle un système économique et une « gestion », comme disent les décideurs et les administrateurs, qui concernent par l’Etat et son mode d’organisation sociale et politique. Mais savons-nous bien comment entendre ce terme de : santé ? Et comment la personne traverse la vie, la vie qui est la sienne, toute sa vie jusqu’à la mort, en prenant soin de sa santé ? N’est-ce pas cette même santé (à moins qu’il n’y ait un grave malentendu à ce propos), que les publicistes nous vendent en nous ventant les produits de consommations destinés à l’entretenir ou, de manière thaumaturgique, à la restaurer, à la produire ? Voici que la santé est devenue objet de consommation, chose extérieure à la personne, qu’elle est soumise à des modèles, organisée et arraisonnée. Moyennant quoi, il se pourrait que d’autres que nous s’arrogent le droit de savoir, mieux que nous, les comportements que nous devrions adopter.
Aussi la maladie et la guérison, tout comme la vieillesse et la mort, sont-ils devenus des événements qui surprennent les personnes que nous sommes. Se peut-il que nous ayons omis de penser le corps qui pourtant est nôtre, se peut-il que nous n’accédions plus jusqu’à lui ? Comment, dès lors la personne, confrontée à la maladie, ou plutôt à sa maladie et, dans le même temps, à une médecine, de plus en plus spécialisée voire cloisonnée, de plus en plus technique peut-elle malgré tout, se découvrir une nouvelle vie ? Existe-t-il un moyen d’entrer en résistance face aux protocoles qui uniformisent les comportements des soignants et des malades ?
Ceci semble d’autant plus urgent à considérer qu’il y va en tout ceci de la possibilité d’être proprement soi-même laquelle peut se trouver inhibée, voire violemment entravée. Comment faire pour que l’être humain ne soit pas objectivé et réifié ? Comment le projet pour un malade de recouvrer la santé ou pour un soignant d’aider une personne malade à recouvrer la santé peut-il s’accorder avec la reconnaissance de sa singularité et de sa liberté ? Comment tout cela peut-il rimer avec cette création d’un langage de l’intérieur, qui ouvre la voie à la possibilité d’advenir à soi-même, qui ouvre à l’être humain comme tel ? Comment l’être humain peut-il être désirant jusqu’au bout ?
Nous réfléchirons à trois voix, une philosophe un peu poète, une psychologue-psychanalyste, une praticienne du soin à propos de la personne, de la « construction » de l’être-soi.
Nous envisagerons ce que signifie être proprement soi-même. Nous questionnerons la manière dont la maladie, par le bouleversement qu’elle constitue, peut elle-même participer de l’engendrement de cette force intime, à condition de se l’approprier ou plutôt pour mieux dire de s’approprier à elle. Bref il sera question de maladie, de santé et de soin et éventuellement de guérison. Précisons qu’il s’agit pour nous ici d’évoquer sans restriction l’être malade en toutes ses modalités tant « physiques » que « mentales » comme il se dit le plus souvent.
Enregistrement