Appel à communication
COLLOQUE
« HP Lovecraft et les sciences. Regards croisés littéraires, artistiques et scientifiques »
Jeudi 5 et vendredi 6 décembre 2024.
Université de Poitiers (PALEVOPRIM, FORELLIS) et Espace Mendès France (CCSTI, Poitiers)
« Gilman n’aurait peut-être pas dû travailler avec autant d’acharnement. Le calcul non euclidien et la physique quantique suffisent à vous retourner n’importe quel cerveau ; ajoutez à cela un goût prononcé pour le folklore et le désir de mettre au jour l’étrange arrière-plan de réalité multidimensionnelle dissimulée derrière la nôtre, auquel font sinistrement allusion les contes gothiques et les histoires délirantes chuchotées au coin du feu, et vous comprendrez qu’il est difficile d’échapper au surmenage intellectuel[1]. »
- HP. Lovecraft, La Maison de la sorcière (1933)
Le statut littéraire de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) n’a cessé d’évoluer, passant de celui de journaliste amateur et de pulp writer à celui d’écrivain canonique, ce qu’illustre la publication récente de son œuvre dans la prestigieuse collection Library of America et en France, une nouvelle intégrale de l’œuvre aux éditions Mnemos (novembre 2021). L’œuvre de Lovecraft oscille entre littérature mainstream et culture populaire, empruntant à divers genres (fantasy, fantastique, horreur, SF), ce qui explique aussi sa popularité actuelle. L’écrivain est devenu l’une des icônes de la culture contemporaine. Son œuvre suscite depuis quelques décennies de nombreuses réécritures littéraires (sérieuses ou parodiques), mais inspire aussi des musiciens et des artistes. Les adaptations de toutes sortes ne manquent pas qu’il s’agisse du cinéma (Roger Corman, Stuart Gordon, John Carpenter, jusqu’au projet, abandonné, d’adaptation des Montagnes hallucinées par Guillermo Del Toro) ou de formes plus éloignées comme les jeux vidéo ou les jeux de rôles. Ont fleuri aussi nombre d’ouvrages illustrés (en France : Philippe Druillet, Jean-Michel Nicollet, Nicolas Fructus, François Baranger, etc.) et de romans graphiques (Richard Corben, Alberto Breccia, Alan Moore, etc.). Des exégèses récentes ont révélé l’impact de l’imaginaire lovecraftien sur le discours scientifique et la philosophie (Graham Harman, Timothy Morton). Les nouvelles traductions en France (David Camus, François Bon, etc.) ont permis de redécouvrir l’œuvre et d’en faire mieux ressortir la richesse et la complexité.
L’intérêt de Lovecraft envers la science
Lovecraft manifeste une grande curiosité intellectuelle. En particulier, il fait preuve d’un intérêt constant pour les sciences et le discours scientifique en général, et tout particulièrement pour l’astronomie, qu’il pratique en amateur. L’époque où il vivait a connu des bouleversements dans plusieurs domaines scientifiques, qui ont contribué à faire reculer les limites du savoir mais également à remettre en cause des certitudes solidement établies. Ce questionnement empirique du monde, mais également de l’origine de l’humanité, avait été amorcé au XIXe siècle par les travaux de physiciens, de mathématiciens tels que Gauss et Riemann et de biologistes tels que Darwin, qui ont eu un impact considérable sur la science mais également sur la littérature et la société. Au début du XXe siècle, alors que la controverse autour de la théorie de l’évolution n’est pas éteinte, ce sont d’autres certitudes qui sont mises en cause, avec les travaux de Max Planck, Niels Bohr, Heisenberg et Einstein (souvent cité par Lovecraft). L’intérêt de l’écrivain pour cette évolution des savoirs sert aussi des fins littéraires. On trouve dans son œuvre des références multiples au contexte scientifique de son époque et nombre de ses personnages sont des hommes de science.
On pourra examiner quelles images et représentations des sciences apparaissent dans l’œuvre et pourquoi Lovecraft insiste-t-il sur cet aspect du savoir contemporain, en tenant un discours souvent ambivalent sur la science, source de savoir, mais aussi de danger potentiel pour l’homme et son avenir. Une mise en garde s’exprime au début de L’Appel de Cthulhu paru en 1928 où l’effroyable viendrait d’une connaissance totale. L’interdisciplinarité serait la perte de l’humanité :
« Les sciences, chacune tendue vers son propre objectif, nous ont jusqu’à présent relativement épargnés ; mais un jour viendra où le rapprochement de toutes ces connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons, que cette révélation nous rendra fous ou nous fera fuir la lumière mortelle pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres[2]. »
HP Lovecraft, L’Appel de Cthulhu (1928).
L’intérêt des scientifiques envers Lovecraft
Les disciplines dont on retrouve des données, des concepts, une mise en scène dans l’œuvre de Lovecraft sont les suivantes : la paléontologie, la géologie, l’archéologie, la biologie (biodiversité, écologie, éthologie), la neurologie, la psychologie, l’astronomie, l’astrophysique, la physique des particules, l’ethnologie/l’anthropologie, la linguistique, l’histoire (dont l’histoire des sciences, l’histoire des religions et mythes), la philosophie des sciences, la littérature, l’économie…
En retour, Lovecraft semble rencontrer un écho très favorable chez un certain nombre de scientifiques. En 2019, une équipe de recherche découvre un fossile d’une espèce sous-marine aux quarante tentacules qui n’est pas sans rappeler Cthulhu… Cet échinorderme, âgé de 430 millions d’années et découvert à Herefordshire (ouest de l’Angleterre) a été nommé Sollasina cthulhu par les scientifiques[3]. Il ne s’agit pas d’un exemple isolé. Ces liens d’influence interpellent. Comment les scientifiques sont-ils influencés par les textes lovecraftiens dans l’approche de leurs objets de recherche ? Ces écrits ont-ils pu jouer un rôle dans des choix de carrière (consciemment ou inconsciemment) ? Quelles sont les convergences entre leurs perceptions des phénomènes observés et les thèmes récurrents de l’œuvre de Lovecraft ?
Il existe peu de travaux sur la relation entre l’œuvre de Lovecraft et l’imaginaire scientifique. Ce colloque vise à combler un manque et à proposer trois axes de réflexion : l’un portant sur l’utilisation par Lovecraft de concepts scientifiques et son discours sur la science, le second sur le regard porté par les scientifiques et les philosophes des sciences sur l’œuvre de Lovecraft, le troisième concernant la manière dont les artistes (dessinateurs, cinéastes, créateurs de jeux vidéos, jeux de plateau…) se sont appropriés l’imaginaire lovecraftien et ses éléments empruntés à la recherche scientifique pour créer des paysages, des mondes de science-fiction à l’instar de H.R. Giger, Philippe Druillet, Jean-Michel Nicollet, Nicolas Fructus, François Baranger, Gou Tanabe, Alex Nikolavitch…
L’œuvre de Lovecraft permet ces croisements arts et sciences où l’interprétation des œuvres se nourrit nécessairement des savoirs scientifiques et littéraires de l’artiste créateur. Ainsi, une résidence est envisagée dans le cadre du colloque par le Lieu multiple (pôle arts et sciences, création numérique) de l’Espace Mendès France et la Maison des étudiants de l’Université de Poitiers. Cette résidence pourrait prendre la forme d’une lecture musicale de l’œuvre de Lovecraft ainsi que d’une résidence de dessin.
Les propositions de communication pourront relever de plusieurs champs disciplinaires et porter sur les sujets suivants (liste indicative) :
- Les références scientifiques dans l’œuvre et leur exploitation littéraire
- L’appréhension par les personnages ou la voix narrative du savoir scientifique
- Les personnages de savants et d’intellectuels
- L’ésotérisme et l’occultisme et autres pseudo-sciences dans l’œuvre
- L’influence de Lovecraft sur la communauté scientifique et sur les concepts qu’elle développe
- La science contemporaine et les concepts lovecraftiens
- La philosophie contemporaine et la pensée de Lovecraft
- La représentation des sciences dans l’illustration, le cinéma et la bande dessinée
Bibliographie sélective
Ouvrages
Guillaud Lauric, Lovecraft : une approche généalogique. De l’horreur au sacré, Paris, L’œil du sphynx, 2017.
Houellebecq Michel, H. P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie, Paris, Editions du Rocher, 1991.
Joshi S. T., Lovecraft, Je suis Providence, Chambéry, ActuSF, 2019.
Levy Maurice, Lovecraft ou du fantastique, Paris, Union Générale d’éditions, 1972.
Lovecraft H. P., édition intégrale des œuvres en 7 tomes, Éditions Mnemos, 2022.
Mellier Denis, L’Écriture de l’excès, Paris, Honoré Champion, 1999. Chapitre consacré à H. P. Lovecraft.
Menegaldo Gilles (éds.), H.P. Lovecraft, Fantastique, mythe et modernité, Paris, Éditions Dervy, 2002.
Gelly Christophe, Menegaldo Gilles (éd.), Lovecraft au prisme de l’image, Cadillon, Le Visage Vert, 2017.
Truchaud François (éd.), Lovecraft, Cahiers de L’Herne, n° 12, Paris, Éditions de L’Herne, 1969.
Vincent Jérôme (éd), Lovecraft au cœur du cauchemar, Chambéry, ActuSF, 2017.
En amont des deux journées, est prévue une résidence artistique avec un dessinateur et une classe d’un établissement scolaire de Grand Poitiers pour appréhender l’œuvre et l’imaginaire de Lovecraft et réfléchir aux liens entre sciences et science-fiction. Par ailleurs, la Médiathèque François-Mitterrand de Poitiers sera partenaire de l’événement pour proposer un événement (exposition, lecture…) auprès du public étudiant.
Les deux journées d’échanges auront lieu sur deux sites, celui de l’Université de Poitiers et l’Espace Mendès France (Centre de culture scientifique). Plusieurs temps seront pensés pour évoquer l’œuvre de Lovecraft ainsi que les sciences auprès d’un public varié. Par ailleurs, une conférence grand public aura lieu le jeudi 5 décembre à l’Espace Mendès France. Le Lieu multiple (pôle arts et sciences, création numérique) accompagnera le colloque avec une proposition artistique autour de Lovecraft afin de clore les deux journées d’échanges.
Il est organisé par les laboratoires Forellis et Palevoprim (CNRS) de l’Université de Poitiers et l’Espace Mendès France (CCSTI, Poitiers), pôle sciences et société et le Lieu multiple.
Comité d’organisation : Jean-Renaud Boisserie (Palevoprim, CNRS, Université de Poitiers), Gilles Menegaldo (Forellis, Université de Poitiers), Héloïse Morel (Espace Mendès France) et Patrick Tréguer (Lieu multiple, Espace Mendès France)
Comité scientifique : Jean-Renaud Boisserie (Palevoprim, CNRS, Université de Poitiers), Pierre Deleage (Collège de France, EHESS), Roland Lehoucq (Commissariat à l’énergie atomique), Raphaël Granier de Cassagnac (CNRS), Denis Mellier (Forellis, Université de Poitiers), Gilles Menegaldo (Forellis, Université de Poitiers) et Héloïse Morel (Espace Mendès France)
Merci d’envoyer un abstract de 300 mots ainsi qu’une dizaine de lignes de biographie et bibliographie aux organisateurs avant le 30 avril 2024 :
jean.renaud.boisserie@univ-poitiers.fr
[1] H. P. Lovecraft, La Maison de la sorcière, (paru en 1933), in Le Cycle de Providence (Intégrale tome 4), Mnemos, traduit par David Camus, 2021.
[2] Extrait de Les Montagnes hallucinées et autres récits d’exploration (Intégrale tome 2), H. P. Lovecraft, traduit par David Camus, éditions Mnemos, 2021.
[3] « Le fossile d’un ancêtre des concombres de mer a été baptisé Cthulhu », article de Lucile Rabiet, paru dans Sciences et avenir, le 12 avril 2019, consulté le 20 avril 2022, https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/paleontologie/lovecraft-une-espece-fossile-tentaculaire-appelee-cthulhu_132885