Résidence de création et médiation du 3 au 7 juin.
Investi dans des démarches expérimentales mettant en jeu des technologies exclusivement analogiques, Alexis Choplain débute sa production en s’intéressant à des phénomènes d’ordre vibratoires mêlant la mécanique, le son et la lumière. Œuvrant pour une hybridation entre les arts et les sciences, il détourne et s’approprie des vocabulaires scientifiques et tente d’en extraire un potentiel plastique. Il concentre ses recherches actuelles sur la conception de ses propres dispositifs électriques afin d’en comprendre le fonctionnement interne : ce processus ouvre alors la voie à des projets de plus en plus intimes avec la machine, l’amenant à s’intéresser à un champ plus fondamental, l’électricité, énergie immatérielle dont les seules limites d’usages sont posées par notre imagination.
- 31 mai à 19h30 – Sortie de résidence de Alexis Choplain à La Métive (Moutier-d’Ahun, Creuse)
- 7 juin à 18h30 – Sortie de résidence de Alexis Choplain au Lieu multiple (Poitiers, Vienne)
- 13 juin à 18h – Vernissage de Alexis Choplain à Rurart (Rouillé, Vienne)
L’ artiste pour le moment installé à la Métive, expérimente des formes hybrides mêlant le son, l’électronique et l’hydraulique. Pilotés par des circuits conçus à partir de schémas trouvés sur les plateformes open source et DIY en ligne, les installations qu’il propose révèlent des chorégraphies aquatiques, où des filets d’eau suspendus dans l’espace ondulent au gré d’accidents électroniques. Sa démarche, ancrée dans l’expérimentation, consiste à produire un flux chaotique qu’il tente de dégager de la précarité de ses structures . Attaché aux systèmes analogiques, il laisse l’ensemble de ses composants à nu, prolonge les connections et dilate les circuits jusqu’à rendre leurs fonctionnements instables, comme si l’appareillage électrique s’échappait de son boîtier pour déroger à sa fonction initiale.
Cette liberté accordée aux machines est ensuite augmentée par les connections hasardeuses qui les lient, de manière à les laisser performer en autonomie dans l’environnement produit. Ses multiples expérimentations, majoritairement vouées à un l’échec plus ou moins provoqué, demeurent pour lui son principal moteur de création.
Bio Alexis Choplain
Alexis Choplain est un artiste multidisciplinaire qui vit et travaille à Bruxelles.
Diplômé d’un master de l’école supérieure des arts de Mons section IDM © en 2017, il a acquis son expérience au cours de sa formation internationale. À la suite d’études d’architecture à Marseille, il découvre son intérêt pour la création par le biais d’instruments électroniques en tant que musicien autodidacte. Il entre aux beaux-arts de Marseille en 2013 et débute sa pratique en tant que plasticien en réalisant des paysages sonores et visuels synthétiques. Par la suite, il part s’installer durant un an à Oaxaca de Juarez au Mexique pour y apprendre la lithographie. Il gardera de ce voyage un attrait particulier pour la capacité des artistes locaux à créer sans moyens.
Sensible aux pratiques de Do It Yourself, d’open source et de partage, il entre dans un processus d’apprentissage et d’expérimentation pour concevoir lui même ses composants et ses machines, qui alimenteront ses projets artistiques. Le processus de conception devient alors partie intégrante de son œuvre. A la manière d’un chercheur de laboratoire, il exploite de nombreux croquis, objets, schémas et photographies d’expérimentations non abouties dans son travail plastique.
Sa démarche « Open source » au delà de la matérialisation des projets se traduit par un engagement politique : Il revendique le partage sur le net comme étant un outil fonctionnel conférant au système D’une posture émancipatrice face à un système commercial aux technologies opaques.
Depuis l’obtention de son diplôme d’art, il a participé à divers workshops et expositions, notamment par le biais de Transcultures lors de City Sonic ou des Transnumériques, mais aussi au PASS, au Micro Marché (RECY K), ou dans d’autres lieux alternatifs comme le Barlok.
En 2018, il a été remarqué par la fondation Agnès B qui lui a permis de présenter son travail dans une exposition organisée aux Halles Saint Géry. Son travail a également été présenté lors du prix Médiatin
Tempête dans un verre d’eau
Texte de présentation de Véronique Béland / mai 2019
Mareyeur ami des procédés sérieux suis-moi bien
J’ai plus d’un tour dans mon sac
Avec de vertes transparences stylées
On n’a pas idée de ces calorimètres
Qui donnent leur envergure à nos désirs
Où s’entretiennent les belles sentimentalités à 32 o
Je crains le mal de mer
Rame insupportable du préparateur
Expérience de nos vies mesurées au nombre de battements de cœur
C’est un ruissellement très long grâce à la complicité des bouquets animés de musique
– André Breton et Philippe Soupault, Les champs magnétiques
Dans l’ancienne salle des machines de la Métive, désormais submergée par les travaux d’Alexis Choplain, des éléments disparates : trois ou quatre haut-parleurs éventrés, une scie à pain électrique, un aquarium et des béchers remplis de liquides fluorescents, des flacons d’acide de différentes formes, un briquet toujours égaré, des moteurs, quelques kilomètres de câbles emmêlés, des milliers de composants électroniques, deux fers à souder, un désordre avéré. Il y règne la sensation d’un mouvement d’allers-retours incessant, d’un chantier infini qui évolue au rythme de la pensée.
Comme une ouverture sur un monde parallèle, la porte arrière de l’atelier donne directement sur la rivière, sur un bras fantôme de la Creuse qui se dérobe sous le bâtiment. Ce sont les coulisses par lesquelles l’artiste arrive à faire pénétrer l’eau à l’intérieur, dessinant au passage des continents éphémères. Si une certaine tension paraît exister entre les éléments au sein de cet équilibre précaire, où les multiprises flirtent distraitement avec les flaques d’eau, la démarche d’Alexis Choplain semble elle aussi user de l’instable et de l’inachevé comme matière première.
Sur des tables improvisées, des machines à l’aspect nettement DIY fabriquées de toutes pièces par l’artiste, souvent à partir de matériaux électroniques trouvés ou recyclés. Des modules analogiques qui exercent des rôles distincts, mais qui interagissent également les uns avec les autres par différents signaux électriques et qui permettent de révéler des phénomènes vibratoires, sonores, lumineux. Un synthétiseur modulaire complètement autonome, construit à l’échelle de la salle, dont les fluctuations varient selon les données environnementales immédiates de l’espace : niveau d’eau, courant, interférences… Comme quoi l’agencement de systèmes a priori simples peut aboutir à la création d’instruments d’une grande complexité.
Des schémas électromagnétiques jonchent les murs et le sol. Dessinés dans un facteur d’agrandissement presque démesuré, ils semblent perdre leur fonction pratique pour n’exister qu’à travers leurs qualités graphiques et esthétiques. Au sein de cet univers inclassable, à mi-chemin entre l’atelier d’artiste et le laboratoire scientifique, ces schémas offrent à voir, à qui sait les interpréter, l’envers de ces machines : des réseaux tracés à main levée par l’artiste, sortes de cartographies par lesquelles une forme de rigueur vient encadrer toute cette science incertaine. En observant de plus près, on remarque ici et là des ratures ; des notes, des ratés… Tout compte fait, il ne partage peut-être avec la science que le fonctionnement par essai-erreur.
Pour voir naître la magie, la nécessité de s’extraire de la lumière du jour – de revenir au noir essentiel du dedans. Le flux de l’eau rencontre alors le scintillement des diodes lumineuses, laissant apparaître des phénomènes physiques aux comportements étranges, inexplicables. C’est dans la pénombre que se met en place ce ballet mécanique des fluides où, vecteur de désordre, l’effet stroboscopique semble libérer l’eau de la force gravitationnelle. Une chorégraphie qui fait émerger des formes d’ondes fuyantes, comme autant de tentatives de réenchanter le monde. Pendant un instant, sous nos yeux, l’impression que le réel se dérobe : le degré zéro de quelque chose qui échappe, et que l’on ne peut appréhender que dans la durée de l’observation et de l’expérience.
À l’heure où les technologies numériques déploient des possibilités de plus en plus vertigineuses, Alexis Choplain souligne la vulnérabilité de ces écosystèmes, à un niveau d’instabilité qui arrache la machine à son statut d’objet que l’on souhaiterait à tout prix infaillible. Car ce qui donne sa force au dispositif, c’est bien la fragilité sous-jacente à l’œuvre, dont les formes sont aussi variées qu’incertaines ; l’état d’équilibre soudain qui permet l’apparition de phénomènes autonomes, aléatoires, parfois incontrôlables – et le risque permanent que tout s’effondre. L’œuvre émerge ainsi des conditions intrinsèques à son processus de création, où l’accident fait naître une idée, dessine un nouveau chemin…
En parlant de son travail, il dit : faire une sorte de magie avec pas grand-chose, dans une recherche constante d’émerveillement et de contemplation. Dans l’atelier, si le tour rate cent fois avant que l’onde électromagnétique soit enfin canalisée par l’eau et se soumette aux modulations que son propre environnement lui prescrit, ce qu’il arrive finalement à exprimer dans l’obscurité est d’une clarté éblouissante.