Conférence et séance d’écoute avec Romain Bertrand, Rodolphe Alexis, Cédric Yvinec.
Le temps d’une histoire naturelle attentive à tous les existants, où l’on savait décrire avec prodigalité la délicatesse des choses n’est plus. Dans un monde conquis et partiellement dévasté, la prise de conscience de l’échec du projet moderne, qu’on le nomme anthropocène, entropocène ou capitalocène nous projette avec fracas dans un nouveau régime climatique qui nous oblige à ré-calibrer nos catégories en réinterrogeant les dualismes nature/culture et sujet/objet.
Face à l’appauvrissement de nos sensibilités dans une fragmentation des corps et des savoirs, quels dispositifs attentionnels peuvent résister en tentant de rendre compte, des réciprocités et des entrelacements, de singularités multiples qui peuplent le monde ?
Audiographie sensible de la multitude – est un projet de recherche-création de l’artiste et preneur de son Rodolphe Alexis en collaboration avec le peuple Paiter Surui et son territoire en amazonie brésilienne. À la friction des cosmologies et des déterminismes, cette expérience interroge la potentialité du sonore et de l’écoute, comme tentative poétique de dialogue et d’exploration de liens interhumains et interespèces.
La présentation de ce projet, dont la phase de terrain était initialement prévue en juillet 2021 sera l’occasion de questionner les pratiques de description des mondes, et la fabrique de la connaissance. Elle sera articulée avec les interventions de l’historien Romain Bertrand et de l’anthropologue Cédric Yvinec.
Romain Bertrand, membre du Centre de Recherches Internationales viendra inaugurer la séance en reprenant la généalogie d’une histoire naturelle, sur la base de son livre paru en 2019, Le détail du monde. L’art perdu de la description de la nature, rappelant comment naturalisme et analogisme ne sont pas, dans l’histoire de l’Europe moderne, des ontologies exclusives. A travers la figure des grands naturalistes monistes du XVIIIe siècle, il montrera comment, bien avant la séparation des disciplines, ces derniers pouvaient se révéler dans un même mouvement, savant et poète, la description du monde procédant conjointement des sciences, des lettres et des arts.
Cédric Yvinec, chargé de recherches au CNRS et rattaché au laboratoire Mondes Américains (CNRS/EHESS/Univ. Paris-Nanterre/Univ. Paris I), apportera un éclairage ethnographique sur l’histoire et la situation du peuple Suruí de la Terre Indigène du Sept Septembre dans l’État du Rondônia. Des mythes à la classification des entités, des activités traditionnelles, aux rites, il montrera comment les représentations et les relations qu’entretiennent les Suruí avec les êtres peuplant leur milieu de vie maintiennent un certain nombre de traits animistes stables, en dépit de la pratique actuelle du protestantisme évangélique.
Rodolphe Alexis, proposera une écoute immersive d’enregistrements de terrain réalisés en 2019 lors d’une première visite sur la Terre Indigène du Sept Septembre. Contrepoint sensible au discours, sans pour autant échapper au récit, cette projection sonore les yeux bandés sera le point de départ d’une reflexion sur les aspects éthiques et esthétiques qui sous-tendent les pratiques de collectes des sons du dehors et de leur restitution, imaginant comment celles-ci pourraient devenir, dans leurs modalités relationnelles, une relecture des archétypes de la modernité.
Avec le soutien du Centre National des Arts plastiques.
Possibilité d’assister sur place – n’oubliez pas de réserver en ligne ! – ou en ligne sur la chaine YouTube de l’EMF.
Avec le Lieu multiple (pôle création, arts-sciences de l’Espace Mendès France).
Favoriser l’appropriation de l’idée d’arts et sciences passe par un ensemble de dispositifs de rencontres, d’expérimentations et de nouvelles formes de collaborations entre des mondes qui ne se côtoient pas forcément. Le rôle d’un centre de culture scientifique peut être également de proposer ces « nouvelles » perspectives et de montrer à un large public que les arts et les sciences ont en commun de questionner le monde en rendant visible l’invisible, ou parfois, en faisant un pas de côté qui modifie ces perspectives . Montrer que tout cela est dynamique et bouge. C’est une façon de jouer avec les représentations de notre monde qui oscille entre une approche spécifiquement artistique et une autre plus en phase avec l’approche épistémologique. Mais pas que… C’est également une recherche d’équilibre entre deux produits de l’imagination et de l’ingéniosité humaine. Ce parcours interroge en profondeur notre place dans le monde, et notre façon d’être au monde. Permettre la rencontre de scientifiques et d’artistes contribue à ce nécessaire frémissement dans nos sociétés.