Rencontres du vivant : les nanobiotechnologies

mercredi 2 décembre 2009

Journée d’études avec la participation de Dorothée Benoit-Browayes, journaliste scientifique, déléguée générale de VivAgora (association pour l’engagement citoyen dans la gouvernance des technologies), Alain Daban, professeur en oncologie et radiothérapie, université de Poitiers, Frédéric Eberle, médecin biologiste, responsable médical Roche diagnostics division business development, Valérie Sabatier, école de management, Grenoble, Dominique Thouvenin, juriste, professeure à l’université Paris 7 centre de recherche Droit, sciences et techniques (CRDST), Christine Vauthier, directeur de recherche au CNRS. Journée organisée en partenariat avec l’école de l’ADN en Poitou-Charentes.

Enregistrements audios disponibles ci-après

En s’intéressant aux objets de taille nanométrique (de l’ordre du nanomètre soit un millionième de millimètres), les nanosciences ont donné naissance à un vaste champ technologique, les nanotechnologies.

Après l’essor des biotechnologies à la fin du XXe siècle, le début du XXIe consacre celui des nanobiotechnologies, les applications des nanotechnologies dans le monde du vivant. Suscitant autant d’espoirs que de craintes, ce domaine émergent ne peut que bénéficier d’une information qualifiée auprès du public. L’objet de cette première journée d’étude du cycle sur les nanotechnologies est de traiter d’aspects scientifiques et techniques relatifs aux applications, entre autres dans les domaines du diagnostic, de la thérapie et de la cosmétique, mais aussi des stratégies d’entreprises et d’incidences économiques et éthiques.

Programme de la journée en pdf

9h, accueil Didier Moreau, directeur de l’Espace Mendès France, Christian Berrier, président de l’École de l’ADN, Laurent Fillion, directeur de l’École de l’ADN, Anne Bonnefoy, responsable du pôle d’histoire des sciences et des techniques.
Modérateurs de la journée : Yves Cenatiempo, professeur de biochimie et biologie moléculaire à l’université de Poitiers et Alain Daban, professeur à l’université de Poitiers et consultant, service d’onco- logie radiothérapique.

9h15 Vous avez dit « Nanobiotechnologies ? » Conférence introductive d’Yves Cenatiempo.

10h, débat

10h15 Vers la conception de nouveaux médicaments Christine Vauthier, directeur de recherche au CNRS, UMR CNRS 8612, université Paris Sud-11, Chatenay-Malabry, et Les biopuces : de la recherche aux applications cliniques de routine Frédéric Eberle, médecin-biolo- giste, responsable médical Division Business Development, Roche Diagnostics, Grenoble.

11h15, débat

11h30, pause

11h45 Quand les cosmétiques se nanodispersent… Fabrice Pirot, maître de conférences des universités, laboratoire de recherche et développement de pharmacie galénique industrielle EA 4169 « Fonctions physiologiques et pathologiques de la barrière cutanée », faculté de pharmacie, université Claude Bernard Lyon-I.

12h15, débat

14h Aux frontières du chimique et du vivant : de nouvelles sciences et de nouveaux commerces Bernadette Bensaude-Vincent, professeur de philosophie et d’histoire des sciences, université Paris X.

14h45, débat

15h Quelles contributions citoyennes et politiques dans la construction des projets en nano- biotechnologies ? Dorothée Benoit-Browaeys, journaliste scientifique, déléguée générale de VivAgora (association pour l’engagement citoyen dans la gouvernance des technologies).

15h30, débat

15h45, pause

16h Nanobiotechnologies et entreprises : comment les acteurs du secteur privé anticipent-ils l’évolution des modèles économiques ? Valérie Sabatier, Grenoble Ecole de management, PX’Therapeutics.

16h30, débat

16h45 Qu’entend-on par enjeux éthiques dans le domaine des nanobiotechnologies ? Conférence de clôture par Dominique Thouvenin, professeure, école des hautes études en santé publique, titulaire de la chaire « Droit de la santé et éthique ».

17h30, débat

17h45-18h00 Synthèse de la journée

Trois autres journées seront consacrées aux nanotechnologies en 2010 :

  • Mercredi 10 mars  : Des Nanosciences aux nanotechonologies
  • Mercredi 15 décembre : Les aspects sociétaux des nanotechnologies
  • Mercredi 19 mai : Les nanotechnologies et leurs applications

Résumés

Frédéric Eberle, médecin biologiste, responsable médical Roche diagnostics division business development

Tous les patients ne répondent pas de la même façon aux médicaments (en termes d’efficacité et d’effets indésirables), et les facteurs héréditaires (séquences d’ADN de notre patrimoine génétique) représentent une des raisons de cette variabilité interindividuelle. La pharmacogénomique est la discipline biologique et médicale qui étudie les mécanismes génétiques des variations individuelles de la réponse aux médicaments.

Le cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) est une enzyme qui métabolise de nombreux médicaments courants, parmi lesquels les antidépresseurs, les neuroleptiques, la codéine, et le tamoxifène. Son gène a la particularité de présenter une très grande variabilité interindividuelle (= polymorphisme), et son analyse, réalisable en routine par quelques laboratoires spécialisés en France, permet de prédire l’activité métabolique du patient pour ces médicaments.

Nous rapporterons d’abord le cas, certes exceptionnel, du décès d’un nouveau-né de quelques jours nourri exclusivement par allaitement maternel, imputable à une intoxication morphinique, du fait du statut de métaboliseur CYP2D6 ultra-rapide de sa mère à qui son médecin avait une association paracétamol-codéine.

D’autre part, plusieurs études cliniques récentes montrent que des femmes traitées pour un cancer du sein par tamoxifène qui présentent des variants du gène CYP2D6 nuls (= prédictifs d’inactivité enzymatique), donc une capacité faible de métaboliser ce médicament, présentent un risque accru de récidive tumorale. Des co-prescriptions de fluoxétine ou de paroxétine, entre autres, également métabolisés par CYP2D6, représentent une entrave supplémentaire à l’activité antitumorale du tamoxifène.

Les puces à ADN représentent désormais une technologie de choix pour  analyser un nombre extraordinaire de données génétiques et nous décrirons le principe d’utilisation du réactif AmpliChip P450 validé par les instances réglementaires européennes et américaines pour leur utilisation clinique par des équipes spécialisées en pharmacologie moléculaire.

Au total, les connaissances acquises en pharmacologie et les innovations biotechnologiques peuvent permettre de prédire le bénéfice/risque individuel d’utilisation de certains médicaments,  représentant en celà un exemple tangible de médecine personnalisée.

Qu’entend-on par enjeux éthiques dans le domaine des nanobiotechnologies ?
Dominique Thouvenin,
Professeure, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique ; Titulaire de la chaire «Droit de la santé et éthique»

Les nanobiotechnologies portent sur l’utilisation de la nanotechnologie dans le cadre de la biologie et des sciences du vivant. Les applications qui en sont attendues concernent aussi bien le diagnostic des maladies, la thérapeutique que la cosmétique.

C’est dire d’emblée que si la santé des personnes est concernée dans toutes ces hypothèses, elle ne l’est pas de la même manière. En effet, les applications des nanobiotechnologies à la médecine n’ont pas grand-chose à voir avec leurs applications en cosmétologie : il ne s’agit ni des mêmes acteurs, ni des mêmes questions et les manières de les poser sont fort différentes les unes des autres.

Malgré ces différences, l’ensemble de ces problématiques est présenté d’une manière générale sous l’angle de l’éthique. Porteuses de promesses comme de bienfaits espérés, mais grosses d’inquiétudes en raison de méfaits potentiels, on en appele aussitôt à l’éthique. C’est une façon de dire qu’il n’est pas envisageable de se dispenser de s’interroger sur les valeurs et les fins dans des domaines caractérisés par l’incertitude liée aux effets potentiellement délétères des utilisations des nanobiotechnologies.

Toutefois, on peut constater à leur sujet une belle constance dans tous les avis, rapports, réflexions officielles consistant à affirmer qu’elles posent des « problèmes éthiques » sans que jamais ne soit précisé en quoi ces problèmes sont de nature éthique. Certes ils sont ainsi mis en avant pour indiquer la nécessité impérieuse d’en débattre, mais le couplage maintenant fréquent dans l’acronyme ELSA ( Ethical, legal and societal aspects) ou ELSI (Ethical, legal and societal implications) selon les sources, devrait nous alerter. En effet, on ne voit pas en quoi ces champs de pratiques nécessiteraient plus que d’autres d’être attentif aux questionnements sociaux ainsi qu’aux règles régissant ces pratiques.

Mais si la « problématique ELSA » consiste, ainsi que l’exprime un avis, à accompagner la recherche en amont et à engager le public dans la discussion de la politique scientifique en la matière afin d’éviter ce qui s’est passé en matière d’OGM, ne risque-t-on pas de voir l’éthique instrumentalisée. Et alors que tous les enjeux de la techno science sont des enjeux économiques, ne peut-on craindre que le recours à l’éthique serve à dissimuler les intérêts en jeu ? En effet, si l’on postule que ces pratiques sont risquées quels moyens effectifs met-on en œuvre, comment l’Etat veille-t-il à cette protection ?

Nanobiotechnologies et entreprises : comment les acteurs du secteur privé anticipent-ils l’évolution des modèles économiques ?
Valérie Sabatier, Grenoble Ecole de Management, PX’Therapeutics.

Les modèles économiques des entreprises du secteur de la santé aux beaucoup évolué depuis l’émergence des biotechnologies. Cette première rupture technologique a largement impacté la structure de l’industrie. Aujourd’hui les entreprises de la biopharmacie perçoivent deux scenarii découlant de l’émergence des nanobiotechnologies. Le premier est une rupture technologique grâce à la convergence de plusieurs disciplines et l’autre est un scénario de continuité pour des approches qui ne font que miniaturiser l’existant et préciser le travail à l’échelle nanométrique. De nouveaux entrants pourraient conduire à une réorganisation du secteur et à une redistribution des activités stratégiques et créatrices de valeur. Des entreprises établies dans d’autres industries pourraient même s’intéresser à la biopharmacie et rapidement devenir incontournables. Comment les entreprises anticipent-elles ces changements ? Quels sont les scenarii possibles de l’évolution de l’industrie ? Nous présenterons plusieurs stratégies d’entreprises ainsi que trois scénarii d’évolution du secteur.

Vers la conception de nouveaux médicaments.
Christine Vauthier, directeur de recherche CNRS, physico-chimie, pharmacotechnie, biopharmacie, UMR CNRS 8612-Université Paris Sud-11, Chatenay-Malabry

Dans le domaine de la thérapie, le développement de nouvelles molécules à fort potentiel peut être fortement compromis par le fait que ces composés sont très rapidement dégradés dans les milieux biologiques ou n’arrivent pas à atteindre leur cible biologique par eux-mêmes. Dans d’autres cas, les traitements sont limités par la toxicité des molécules d’intérêt thérapeutique qui se retrouvent aussi bien dans les tissus malades que dans des tissus sains où elles sont responsables de l’apparition d’effets indésirables. Dans ces deux cas, l’introduction des nanotechnologies permet de concevoir des médicaments innovants en permettant de transporter la molécule active jusqu’à sa cible biologique. L’introduction des nanotechnologies dans ces nouveaux médicaments constitue un saut technologique qui apporte un réel bénéfice. En effet, dans ces nouveaux médicaments, leurs rôles est de protéger la molécule active d’une éventuelle dégradation dans les milieux biologiques environnants et de l’aider à passer les barrières biologiques séparant le point d’administration de la cible. Ces objectifs ne pouvaient être atteints qu’avec le recours à l’utilisation d’objets de tailles nanométriques capables de diffuser et de transporter la molécule active dans l’organisme du fait de leur très faible dimension.

Actuellement, les nanotechnologies développées comme transporteurs ou vecteurs de principes actifs sont variées. Elles sont essentiellement constituées de lipides ou de polymères ou copolymères naturels ou synthétiques. Des études sur des systèmes à base de carbone ont été démarrées récemment pour explorer leurs potentiels. Trois médicaments intégrants des nanotechnologies sont utilisés en clinique et de très nombreux essais sont en cours de développements cliniques. Les pathologies concernées par ces thérapies de pointes sont des pathologies lourdes comme les cancers. Des applications pour le traitement des infections sévères et des maladies métaboliques sont également visées. Un autre défi thérapeutique à relever concerne le ciblage des principes actifs vers le cerveau. Dans ce domaine, de nombreux espoirs sont fondés sur les potentiels apportés par l’utilisation des nanotechnologies comme vecteurs de principes actifs pour développer des traitements efficaces des cancers cérébraux et des maladies neuro-dégénératives.

Vous avez dit « Nanobiotechnologies »
Yves Cenatiempo, Directeur scientifique de l’Espace Mendès France et professeur de biochimie et biologie moléculaire à l’université de Poitiers

Les Biotechnologies ont pris leur essor au début des années 1980 et 20 ans après nous entrions dans le monde des nanobiotechnologies, c’est à dire des applications touchant au vivant à une échelle très petite de l’ordre du nanomètre (soit 1 millionième de millimètre !). Comment sommes-nous arrivés à ce stade : est-ce à partir des connaissances acquises en Biologie sur des mécanismes bien réels existant à la même échelle, comme les moteurs moléculaires mis en évidence au niveau des flagelles bactériens, permettant à ces microorganismes de se mouvoir dans des milieux aqueux ? Est-ce par une approche dite ascendante à partir de la connaissance de l’atome et en construisant des objets destinés à la recherche (nanosciences) et à des applications dans le domaine de la santé ? Est-ce par une approche descendante résultant de la miniaturisation d’objets d’abord microscopiques puis encore réduits comme dans le domaine de la microélectronique, résultant donc d’une adaptation des nanotechnologies à la biologie ?

En fait, les nanobiotechnologies résultent de tout cela et des objets (outils) ont été développés par les scientifiques à la fois pour analyser et agir sur des molécules chimiques et biologiques à l’échelle nanométrique, pour essayer de concevoir des transporteurs (véhicules) de principes actifs (médicaments) permettant d’atteindre des cibles et de détruire par exemple des tumeurs cancéreuses. On peut ainsi développer le concept de médecine personnalisée en adaptant la thérapie à mettre en oeuvre à la tumeur dont on a préalablement identifié les cibles à atteindre (biomarqueurs spécifiques).

D’autres domaines comme l’alimentation ou la cosmétique intègrent déjà des objets nanométriques (comme des nanoparticules) et de façon générale, des questions se doivent d’être posées quant à l’innocuité de ces nouvelles technologies non seulement en ce qui concerne les applications médicales ou non, mais aussi en raison de leur accumulation potentielle au sein de sites de production ou encore de la dissémination et l’accumulation dans l’environnement de ces produits nouveaux, dont la dégradabilité n’est pas toujours connue.

En conséquence, des efforts de recherche sont indéniablement encore nécessaires et le public se doit de recevoir une information objective tant en ce qui concerne les aspects potentiellement positifs que négatifs des applications nanobiotechnologiques.

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