“Bruits blancs” une installation interactive, immersive, cinétique et sonore de Marine Antony
« Bruits blancs » se présente comme une expérience sensorielle et contemplative. Quinze modules rectangulaires forment un nuage sonore qui envahit l’espace d’exposition. Tournant sur eux-mêmes, ils produisent inlassablement, dans un mouvement perpétuel, un son continu rappelant le « bruit blanc ». L’intensité sonore contredit la finesse des objets de ce théâtre d’automates, à l’étrangeté hypnotique .
L’œil et l’oreille sont aux aguets. Comme dotés d’une conscience propre, les modules semblent, en miroir, percevoir leur environnement. Réagissant au moindre déplacement du spectateur, leur activité cinétique s’interrompt instantanément, comme perturbée par toute présence. Rester immobile équivaut à disparaître, et leur rituel giratoire reprend…
Présence de l’artiste sur le site :
– mercredi 9 de 14h à 18h30
– mercredi 16 de 13h30 à 15h
– vendredi 18 à partir de 14h jusqu’à la fin du dévernissage.
Site de Marine Antony, artiste multidisciplinaire
Comme dans l’installation précédente de Marine Antony, «Black over Blue» (2011), l’ensemble fonctionne avec un module unique et répété. Quinze rectangles blancs suspendus occupent l’espace d’exposition, comme autant de supports vides. Le choix d’un rectangle blanc n’est pas aussi anodin qu’il y paraît, car derrière lui existe un lourd passif : du tableau retourné de Gijsbrechts peint en 1670 aux toiles de Malévitch puis de Rauschenberg, c’est à la fois un espace des possibles, autant qu’une forme de négation. A la fois vide encadré et infini désigné.
Flottant dans l’air, tournant sur eux-mêmes, ces rectangles délimitent un espace, mais contrairement à Black over Blue, ici le module ne cherche pas à saturer l’espace physiquement. L’envahissement est produit par un son continu, le fameux « bruit blanc » du titre. Le spectateur arrivant dans la salle est frappé par son intensité, car on ne comprend pas au premier abord qu’il est produit par les rectangles. Leur géométrie, leur légèreté et leur finesse quasi bidimensionnelle s’opposent à l’omniprésence et au brouhaha indistinct. C’est un son continu parfois associé en temps normal à l’idée de repos voire de relaxation (ressac des vagues, pluie) mais sa régularité et sa puissance, comme le titre de l’œuvre, évoquent plus le bruit cosmique des particules.
Une polyphonie continue de rectangles, statique, horizontale.
Par sa forme, Bruits Blancs n’est pas sans rappeler le 40 part Motet de Janet Cardiff (2001), où chaque haut-parleur sur son trépied diffuse une voix précise dans le Spem in Alium de Thomas Tallis (vers 1570). Mais le sacré auquel semble se référer Bruits Blancs n’est pas le paradis chrétien de Tallis et de son choeur angélique. Son arithmétique n’est pas celle d’une partition mesurée, rapprochant l’auditeur, le temps d’une polyphonie, de l’idée de l’incommensurable, mais plutôt celle de l’aléatoire des particules, de Newton et de Hawking, d’une civilisation hautement scientifique au point que la science devient une nouvelle forme de mysticisme.
Comme face à l’œuvre de Cardiff, après s’être installés confortablement pour écouter la beauté de l’ensemble, on voudrait circuler, écouter les effets sonores de près, de loin, tenter de se rapprocher d’un rectangle pour écouter s’il produit le même bruit que les autres, s’il existe une forme d’individualité dans ce rituel giratoire. Mais une fois sur place tout s’arrête brusquement et reste figé. Les rectangles se fixent, le bruit s’atténue avant de cesser, révélant ainsi la source et le fonctionnement du dispositif. Un interdit a-t-il été franchi ? L’immobilité des visiteurs seule permet de relancer la machine… Ce rapport interactif qui joue des paradoxes fonctionne ainsi, comme souvent chez Marine Antony, avec un dispositif très simple. Ce bruit (l’équivalent sonore de la mystérieuse lumière bleutée dans Black over Blue) est produit par des milliers de microbilles de verre (les particules originelles ?) intégrées aux poulies circulaires cachées dans les rectangles, des capteurs réagissant au moindre mouvement dans la salle. Commence ainsi le jeu, car le spectateur peut arrêter à volonté le mouvement, comme dans 1-2-3 soleil…
Daniel Clauzier, Poitiers