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Deux Prix Nobel pour cinq. Une découverte dans la tourmente : la superfluidité

mercredi 24 mars 2010

Conférence de Sébastien Balibar, directeur de Recherches au CNRS et laboratoire de physique statistique de l’école normale supérieure (Paris).

Entre 1937 et 1941, période très tourmentée de notre histoire, une découverte majeure a eu lieu : il existe des liquides plus ordonnés que les autres, qu’on appelle « superfluides » parce que leur viscosité est nulle. La superfluidité est étonnante mais visible à l’œil nu, et j’en montrerai une séquence filmée. Lorsqu’il devient superfluide, l’hélium liquide cesse de bouillir, jaillit en fontaine lorsqu’on le chauffe, s’écoule spontanément hors des récipients où l’on tente de l’enfermer, etc. Mais qui a fait cette découverte, et comment ? Est-ce Kapitza à Moscou peu après son enlèvement par Staline ? Ou bien les deux canadiens Allen et Misener attirés à Cambridge par Rutherford ? Et qui a compris le premier qu’il s’agissait de la première manifestation à l’échelle humaine de la mystérieuse physique quantique qui traite la matière comme des ondes ? Fritz London que Paul Langevin avait accueilli au Collège de France (Paris) en plein front populaire, aidé de son ami hongrois Laszlo Tisza qui s’était lui réfugié à l’Institut Henri Poincaré ? Ou bien le russe Lev Landau que Kapitza avait sauvé in extremis des geôles de Staline ? Cette histoire mouvementée illustre la manière dont les découvertes ont lieu dans un contexte de compétition qui génère parfois de vives controverses entre scientifiques, et la manière dont le travail scientifique réconcilie finalement les points de vue. On verra l’importance que prend l’invention d’un mot et comment l’attribution de grands prix peut conduire à réduire le travail d’une communauté à celui d’un individu (le lauréat).
Notre compréhension détaillée de la superfluidité est à peine en train de s’achever et j’ai tenté d’y contribuer. Par ailleurs, si l’on réalise que la supraconductivité est un phénomène voisin qui sert aux installations d’imagerie médicale (les « scanners IRM »), on voit que la superfluidité est très loin de n’être qu’une curiosité de laboratoire.
Pour de plus amples détails, les non-physiciens pourront se reporter au chapitre 6 (« Le pouvoir des mots ») de mon livre : « La pomme et l’atome » (Odile Jacob 2005). Les physiciens pourront lire « The discovery of superfluidity », Journal of Low Temperature Physics 146, 441 (2007).

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