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Pourquoi l’animal ?

vendredi 5 février 2010

Comment expliquer la présence de la question de l’animal dans la littérature et les débats d’idées contemporains ? Romanciers et philosophes, en interrogeant les zones d’incertitude à la frontière entre l’animal et l’humain, en réfléchissant à la transformation du regard imposée par la présence animale, travaillent à une remise en cause des catégories établies. S’ouvre alors une série de possibilités théoriques, parmi lesquelles : la déconstruction des philosophies du propre de l’homme, l’interrogation sur le pouvoir de la fiction comme modèle de connaissance, le renouvellement d’une pensée et d’une écriture de la pitié.
Lucie Campos, ATER, université de Reims,
Catherine Coquio, professeur de littérature comparée, université de Poitiers,
Jean-Paul Engélibert, professeur de littérature comparée, université Bordeaux 3

Avec les interventions de Lucie Campos, ATER, université de Reims ; Catherine Coquio, professeur de littérature comparée, université de Poitiers ; Lucile Desblache, Reader in Translation and Comparative Literature, Roehampton University, Londres ; Henri Garric, maître de conférences de littérature comparée, ENS-LSH, Lyon ; Yves-Charles Grandjeat, professeur de littérature nord-américaine, université Bordeaux 3 ; Natália Laranjinha, New York Universit ; Jean-Paul Engélibert, professeur de littérature comparée, université Bordeaux 3 ; Dominique Moncond’huy, doyen de l’UFR lettres et langues, université de Poitiers ; Isabelle Poulin, professeur de littérature comparée, université Bordeaux 3 ; Tiphaine Samoyault, professeur de littérature comparée, université Paris 8 ; Anne Simon, CNRS-Unité « Ecritures de la modernité » ; Carine Trévisan, maître de conférences de littérature française, université Paris 7.

Ces journées d’études sont organisées par le laboratoire Forell B3, université de Poitiers et le laboratoire Telem, université de Bordeaux 3 en partenariat avec l’Action culturelle de l’université de Poitiers, la Maison des sciences de l’homme et de la société, université de Poitiers et l’Espace Mendès France, Centre de culture scientifique technique et industrielle en Poitou-Charentes.
Elles sont inscrites dans le cadre de la programmation « A chacun son animal » organisée par l’Action Culturelle de l’université de Poitiers.

PROGRAMME

Jeudi 4 février 2010

9h, Accueil des participants

Président de séance : Dominique Moncond’huy, doyen de l’UFR lettres et langues, université de Poitiers.

9h30 / Ecrire l’esquive : l’animal comme être de fuite

Anne Simon, CNRS-Unité « Ecritures de la modernité »

Moby Dick, si tant est qu’on accepte de voir en ce dernier non pas seulement une allégorie du mal, de la passion ou de l’inconscient, mais aussi et surtout un cachalot, se définit avant tout par sa fuite devant l’homme. S’initie sur ce plan une littérature où il s’agit moins de représenter des animaux que d’évoquer leur échappée – y compris dans l’ultime et fatale rencontre –, au sein du réel comme pour l’intellect. Par quels procédés stylistiques des écrivains tels que Jean-Christophe Bailly, Jean-Pierre Otte, Marie Darrieussecq ou Jacques Lacarrière parviennent-ils à rendre compte de ce rapport tangentiel et furtif entre hommes et bêtes ? , tel sera l’objet de cette communication.

10h15, pause

10h30 / Entre image, affect et pensée : l’animal et ses reflets

Lucie Campos, ATER, université de Reims.

Les figures animales qui traversent la littérature contemporaine perturbent à la fois l’ordre du visible, quand ils se présentent comme une apparition fugitive ou une présence imposant la transformation du regard, l’ordre de l’affect, quand il est question de représenter leur souffrance, et l’ordre du pensable, quand ils sont associés à une interrogation sur les zones d’incertitude aux frontières de l’humain. Dans les œuvres de J.M. Coetzee et W.G. Sebald, qui traitent les différentes questions de manière concomitante, ce triple effet de seuil permet la mise en place d’un travail poético- philosophique complexe, emblématique de la place que peut prendre la figure de l’animal dans un renouvellement contemporain de l’écriture de la violence historique et de l’inhumain. On verra que ce travail est caractérisé à la fois par un questionnement sur l’écriture de la compassion et de la pitié, par une réflexion sur un certain répertoire disponible de reflets littéraires et philosophiques de l’animal (Rilke, Hofmannsthal ou Kafka), et par une interrogation sur le pouvoir de la fiction comme modèle de connaissance.

11h15 / L’homme et l’animal au XIXe siècle et au début du XXe : l’épreuve du semblable

Carine Trévisan, maître de conférences de littérature française, université Paris 7.

Je proposerai ici une réflexion sur la façon dont a pu être perçu l’animal au XIXe siècle et les troubles produits par la nouvelle familiarité entre l’homme et l’animal qu’explorent les théories de Darwin. L’animal est désormais ce qui nous fonde (un parent proche, un ancêtre) et ce dont on doit s’arracher pour devenir vraiment homme. La découverte de la parenté avec l’animal s’accompagne en effet d’un souci de s’en différencier (ce que Freud nommerait le « narcissisme des petites différences », peut-être), d’une hantise d’un retour de l’homme à l’état animal ou d’un retour de l’animal dans l’homme, retour qui prend une dimension de cauchemar avec les théories de la dégénérescence. Non plus simple source d’un imaginaire culturel (comme dans la mythologie, la fable, les croyances, les dictons), l’animal devient celui avec lequel se conclut comme une nouvelle alliance.

Président de séance : Anne Simon

14h / L’animal kafkaïen : un glissement interprétatif

Natália Laranjinha, New York University.

Les animaux, qu’ils soient réels, hybrides ou fantastiques traversent l’œuvre de Kafka. L’écrivain met en relief l’existence d’un continuum entre homme et animal. L’homme peut devenir animal par un processus de zoomorphisme (« La Métamorphose ») ou encore par assimilation (“Un artiste de la faim”) ; toutefois la transformation inverse – l’animal qui devient homme -, est également possible (« Communication à une académie »). Par ailleurs, la présence récurrente de l’animal dans les textes de Kafka peut être considérée comme une stratégie d’écriture qui lui permet de rendre leur déchiffrement sibyllin. Deleuze soutient qu’interpréter l’oeuvre de Kafka, c’est autoriser l’irruption de « l’ennemi » ; De fait, l’écriture de Kafka se bâtit contre l’interprétation. L’axe central de notre réflexion portera sur les difficultés, les illusions ou les faux-semblants qu’introduit cette présence des animaux pour appréhender du ou des sens dans l’œuvre de Kafka..

14h45 / Fraterniser. Hommes et bêtes en guerre dans l’œuvre de Mario Rigoni Stern

Jean-Paul Engélibert, professeur de littérature comparée, Université Bordeaux 3.

Mario Rigoni Stern, grand écrivain de la guerre, a beaucoup écrit sur les animaux. Dès son premier roman, Le Sergent dans la neige, consacré à la retraite des troupes italiennes devant l’Armée rouge dans l’hiver russe, les animaux sont présents au milieu de la guerre. Dans des livres plus tardifs, Hommes, bois, abeilles etLe Livre des animaux, où sont rassemblées des anecdotes sur le partage sensible entre hommes et bêtes – la vie des bois, l’entretien des ruches, la chasse – la guerre revient comme milieu et révèle l’enjeu de cette écriture : fraterniser. La guerre – des hommes entre eux, des hommes contre les bêtes – comme condition insurmontée et peut-être insurmontable, suscite l’invention d’une humanité allant « au-delà du respect que les animaux de la forêt ont les uns pour les autres ». D’où de multiples scènes de fraternisation entre hommes et animaux : instants d’ « harmonie », écrit Rigoni Stern, et non d’ « armistice », quand dans la guerre s’improvise, de la manière la plus improbable, la plus surprenante, un absolu commun.

15h30, pause

15h45 / Mémoires d’outre- animal. Sur quelques écritures contemporaines de l’insupportable

Isabelle Poulin, professeur de littérature comparée, université Bordeaux 3.

Il s’agira d’interroger le choix du point de vue de l’animal, à partir d’un corpus de textes contemporains, susceptible d’être élargi, appartenant à des espaces politiquement confinés (ex Europe de l’Est, Amérique latine) — les trois textes matrices étant L’Ermite et Sixdoigts, de Viktor Pelevine (Russie, 1997), Le Vieux qui lisait des romans d’amour, de Luís Sepúlveda (Chili, 1993), « Les états d’âme d’un cochon le jour de Noël », de Guéorgui Gospodinov (Bulgarie, 2001). Des animaux domestiques (poulets, cochon) dont se régalent les hommes, ou des animaux sauvages (ocelots) qui se régalent des hommes, prêtent leurs voix et leur regard à des récits sans perspectives. L’inadéquation fondamentale qui les porte prend d’abord la forme de l’humour, puis s’impose ce qu’on est tenté d’appeler une forme « animale » : un récit sans mémoire, au-delà ou en deçà de la mémoire, inhumain. On étudiera quelques-uns de ses rouages majeurs : sidération, aveuglement (le point de vue animal s’attache ici à des corps qui n’y voient rien) et empâtement (plutôt qu’empathie).

16h30 / L’humour ou la gravité

Catherine Coquio, professeur de littérature comparée, université de Poitiers

J’interrogerai les thèmes de l’animal impensé et de la pensée animale comme enjeu de civilisation ou promesse faite à l’humanité, c’est-à-dire comme mythe épistémologique à l’oeuvre dans la pensée contemporaine : un mythe fascinant car nourri d’oeuvres à la fois scientifiques, littéraires et philosophiques, et travaillé par la double relation frontalière entre humain et animal, humain et inhumain. Je tenterai de déplacer l’opposition qui s’y dessine entre poésie et philosophie (le plus clairement chez Coetzee) en mettant à l’essai l’autre alternative, toute relative qu’elle soit, de la gravité ou de l’humour – celui-ci ayant longtemps accompagné l’usage occidental de la figure animale : je chercherai à interpréter l’humour particulier qui s’exprime à la fois chez certains philosophes (Agamben) et certains écrivains (Kafka, J. Riel, A. Paasilinna), et aussi ce que signifie, ici, la perte de l’humour.

VENDREDI 5 FEVRIER

Président de séance : Denis Mellier, professeur de littérature comparée, université de Poitiers

9h / Du molosse au colibri : l’écriture de relation de la fiction antillaise et guadeloupéenne d’aujourd’hui : Glissant, Chamoiseau, Maximin
Lucile Desblache, Reader in Translation and Comparative Literature, Roehampton University, Londres

9h45 / Méditations et médiations animales chez Aldo Leopold et Rick Bass
Yves-Charles Grandjeat, professeur de littérature nord-américaine, université Bordeaux 3

10h30, pause

10h45 / Quelques hommes à tête de souris : réflexions sur le « dessin animalier » dans l’art et la littérature au XXe siècle
Henri Garric, maître de conférences de littérature comparée, ENS-LSH, Lyon

11h30 / Littéralité des rats chez Hofmannsthal, Perec et quelques autres auteurs du XXe siècle
Tiphaine Samoyault, professeur de littérature comparée, université Paris 8

12h15, Clôture

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