Edgar Morin : « Mon bouillon de cultures, l’Espace Mendès France »

Actualisé le 6 février 2017 à 19 h 55.

Je me dois de dire qu’ici – je dois le reconnaître, je dois l’avouer – à Poitiers, l’Espace Mendès France est mon bouillon de cultures favori, c’est là où j’aime venir me ressourcer, c’est là où j’aime venir pas seulement intervenir, mais aussi apprendre, connaître, parce que c’est un vrai bouillon de cultures.
C’est à dire comme dans les bouillons, les choses se mêlent, se rencontrent en substances. Ce n’est pas pas comme à l’université où les choses sont séparées les unes des autres dans des tiroirs, donc c’est çà, parce que la culture, c’est là qu’elle est. Ce que nous enseignent les sciences et qui est absolument considérable, quand on pense aux sciences physiques, cosmologiques, aux sciences de la Terre, à la nouvelle science écologique, toutes, c’est une somme de choses incroyables sur la connaissance du monde et de l’Univers. Mais elles pénètrent difficilement dans le monde de la culture des humanités ; et dans ce monde singulier évidemment, il y a des réflexions, il y a de l’art, il y a de la beauté.

Mais, ce sont deux univers qui devraient être en osmose permanente – ils l’ont été pendant longtemps dans l’histoire – et qui vont commencer à le redevenir, et ici, à Poitiers, c’est un lieu justement d’osmose, de rencontres, parce que la vie, la vraie culture, là où sont permises des émergences, c’est là où l’on peut intégrer les connaissances qui viennent des sciences et en même temps, elle vont être réflexion, favorisant une méditation sur l’importance humaine qu’ont ces connaissances et qui vient, elle, [cette réflexion] des humanités, des lettres, des arts, de la philosophie. Donc, nous sommes ici dans ce mouvement, ce processus et voilà je répète, ce mot bouillon de cultures, car il me convient moi.

L’Espace Mendès France, j’y viens, et j’y apprends beaucoup. Et je pense que ce qui est à l’œuvre, à travers la revue notamment, au très beau titre ce soir, « Éloge de la diversité », a une très grande valeur et du point des vue des sciences et du point de vue des humanités. Vous savez, les sciences ne sont pas une chose que l’on voit de l’extérieur comme une machine bien rodée, bien programmée, les sciences n’ont progressé que parce qu’elles n’ont pas été programmées, si on les avait programmé à l’avance et bien jamais, il n’y aurait eu la moindre découverte. Regardez même… Newton, c’était une année où l’université était fermée à cause de la peste et comme il n’avait pas à s’occuper des travaux des étudiants, il se promenait dans le jardin et puis il a vu une pomme tomber, …, il a réfléchi, d’habitude on voit les pommes tomber… Et du coup ça a déclenché quelque chose en lui. C’est comme Darwin, qui était un amateur éclairé, il n’avait fait aucune étude spéciale, au cours de son voyage dans les îles du Pacifique, dans le Sud de cet hémisphère encore peu connu, quand il voyait dans les îles des oiseaux qui étaient voisins mais qui étaient un peu différents, il s’est mis à réfléchir, à réfléchir et ça a donné la plus formidable théorie du XIXe siècle et qui est restée vivante au XXe siècle… La théorie de l’évolution.

Les sciences c’est très beau, alors évidemment, elles ont en elle, en permanence, un imprévu. Par exemple, cette merveilleuse découverte de Fermi en 1930, quand il a découvert la structure de l’atome, c’était une satisfaction intellectuelle et on pensait qu’il n’y avait aucune conséquence pratique. Évidemment, il a fallu commencer à l’approche de la guerre, pour que certains se disent : attention !, on peut faire une arme redoutable avec ça. Et vous savez ce qui est arrivé. Maintenant, la menace atomique est une menace permanente sur l’humanité.

Donc la science, elle erre en permanence comme ça, entre certitudes et remise en cause. Elle a besoin d’une régulation éthique, d’une régulation intellectuelle, mais en même temps sa créativité est liée à son désordre. Je pense que là aussi, nous avons à réfléchir parce qu‘il faut bien sûr que les sciences continuent sur leur chemin indispensable pour le progrès, et de plus en plus fortement, on a besoin dans le même temps d’une régulation éthique, d’une régulation politique. Or, tout ça, ce sont des réflexions que l’on a pu trouver depuis longtemps à l’Espace Mendès France, la justification et la visibilité du lieu où nous sommes, son importance citoyenne, merci à toi cher Didier Moreau, merci les amis de Mendès France. Vous êtes très importants pour moi, dans mon cœur et mon esprit et j’espère pouvoir continuer à vous fréquenter encore longtemps.

Edgar Morin
au lancement de la revue L’Actualité Nouvelle-Aquitaine le 25 Janvier 2017 à l’Espace Mendès France, Poitiers.

 

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