Axel Kahn : « remettre la soif de la connaissance … au cœur d’un besoin et d’un droit des citoyens »

Actualisé le 19 juillet 2021 à 8 h 56.

Le 6 juillet dernier Axel Kahn, médecin, ancien chercheur en génétique et président de la Ligue Nationale Contre le Cancer, essayiste humaniste et vulgarisateur infatigable, est décédé des suites d’un cancer. En 2013, comme à l’accoutumée, lorsque nous l’avons invité à faire une conférence à Poitiers ou ailleurs, il nous a répondu positivement et accordé une interview que vous retrouverez en vidéo et retranscrite ci-après .

Interview de Axel KAHN sur la culture scientifique et l’EMF from Espace Mendès France, Poitiers on Vimeo.

L’Espace Mendès France et tous les lieux semblables jouent un rôle fondamental dans la culture scientifique, mais la culture scientifique n’est pas une contre culture, ce n’est pas une culture parallèle. Ça fait profondément partie de la culture. C’est quoi la culture? La culture, c’est ce qui fait sens et permettent à une société de déterminer à la fois ce qu’il convient de faire, comment elle va se positionner. D’avoir des références afin d’exprimer un libre arbitre. De se retrouver dans des valeurs communes.

C’est ce qui permet également à n’importe quel citoyen de se faire son opinion afin de déterminer en toute connaissance de cause ce qu’il convient de dire. On sait bien. On voit bien, que sans culture historique, sans culture morale, sans culture politique, on se demande comment il serait possible à une citoyenne, un citoyen, de déterminer son choix, notamment son choix politique.

Mais en réalité, quand on regarde dans la vie politique aujourd’hui, parmi les grandes questions, parmi les plus grandes questions. Il y a des questions d’ordre scientifique et technique. L’avenir dépend en réalité beaucoup plus de la solution que l’on apportera aux besoins d’énergie, au contrôle de la croissance, à la lutte contre l’effet de serre, à cette question autour de la culture agricole et de l’utilisation des biotechnologies — les plantes transgéniques ou pas les plantes transgéniques — l’évitement par des mesures épidémiologiques des grandes maladies qui nous menacent.

Or, évidemment, dans ces questions là, il y a des choix à faire et dans une démocratie, c’est au citoyen par moment de dire ce qu’il en pense. Mais là, il y a une ambiguïté, c’est que si le citoyen est incapable de s’approprier les tenants et les aboutissants des choix, les ressorts du choix. Alors, il n’y a pas de démocratie en ce domaine, c’est à dire il n’y a plus de démocratie possible dans un pays qui vit la modernité.

La culture scientifique est une partie importante de la culture et une partie essentielle de la culture des pays qui se développent aussi activement, ardemment que le nôtre. Donc, c’est tout naturellement qu’il m’apparaît que l’une des missions du scientifique que je suis est de contribuer à ce que les citoyens puissent s’approprier ces connaissances qu’il va intégrer à sa propre culture, c’est à dire qui va devenir un élément fondamental de sa citoyenneté.

Pensez-vous que les lieux de culture scientifique occupent une place assez importante dans la vie culturelle française ?

Je pense que non, il y a deux défauts et deux périls Charybde et Scylla, en quelque sorte. Le premier est d’une dissociation très claire entre la culture technique et la culture des humanités, comme si il y avait une hiérarchie entre les deux. Comme si la seule vraie culture était celle des lettres, de la peinture, de la musique, mais que dès que l’on s’approchait des connaissances de la rationalité des sciences, alors cela serait d’un autre domaine, d’une autre essence que l’essence de la culture. Je n’en crois rien.

L’autre péril, c’est que l’on remplace la culture scientifique qui est le moyen pour les citoyens de décider ce qu’ils considèrent comme étant bien en domaine dans les domaines de la technologie. Par une espèce de promotion de la logique technocratique de nos sociétés. En d’autres termes, aujourd’hui, on a l’impression que de plus en plus de nos gouvernants nous disent la science et la technique, c’est pour faire simple et bref et. C’est le moyen de faire marcher les affaires, d’assurer la compétitivité des États de l’Europe que sais-je, tout autre dimension de la connaissance disparaitrait. Or, je vous l’ai dit, il y a une dimension essentielle qui n’est pas de l’ordre de la compétitivité, qui est la démocratie.

Il y en a une autre qui est le le désir qu’ont les individus de posséder, de maîtriser les moyens, de réaliser leurs objectifs, il est sûr que connaître, maîtriser une technique, ce sont des outils remarquables pour parvenir à ses fins. Or, je pense que ces lieux sont des lieux qui vont remettre la soif de la connaissance à sa juste place. Pas simplement comme le bras armé de la technoscience de l’économie libérale capitaliste, dont la logique est parfois contestée, mais au cœur d’un besoin et d’un droit des citoyens.

Video : Lieu multiple / Espace Mendès France
Photo : Axel Kahn au Festival international de géographie 2019 à Saint-Dié-des-Vosges, CC BY SA Ji-Elle / Wikipedia.

 

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