Journée d’études organisée par Stéphane Bikialo, enseignant-chercheur en langue et littérature françaises, laboratoire Forellis, université de Poitiers et Anne Jollet, enseignante-chercheuse en histoire moderne au Centre de recherches interdisciplinaires en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham), université de Poitiers. Avec les interventions de Francesca Antonelli, doctorante en histoire des sciences à l’université de Bologne en cotutelle avec l’EHESS ; Patrice Bret, historien des sciences, chercheur honoraire au Centre Alexandre Koyré, CNRS-MNHMEHESS ; Pascal Duris, professeur en Histoire des sciences, laboratoire SPH, université de Bordeaux ; Kaori Kodama, chercheuse au Centre de documentation pour l’histoire des sciences et de la santé à la Casa de Oswaldo Cruz – Fiocruz, Rio de Janeiro, professeure associée à l’université Paris-1, Panthéon-Sorbonne et Isabelle Lémonon, historienne des sciences, EHESS.
Lavoisier et son épouse en 1788 peint par David montre le scientifique et son épouse dont la plupart des personnes ignore le prénom et la collaboration aux travaux scientifiques de son mari, Antoine. Marie-Anne Pierrette Paulze est la collaboratrice de son mari, elle travaille au laboratoire avec lui, prend des notes, dessine les gravures qui ornent le Traité élémentaire de chimie, traduit les traités de l’irlandais Kirwan. L’épouse accompagne son époux. Lorsqu’il ne s’agit pas de l’époux, il peut s’agir du père ou du frère comme dans la situation de Caroline Herschel (1750-1848). Elle est, contre son gré, l’aide-domestique de son frère William et devient son assistante lorsque celui-ci se passionne pour l’astronomie. Elle aide à la fabrication des télescopes, notamment des miroirs, mais également à la prise de notes des données. Pourtant, le découvreur d’Uranus reste seul dans les mémoires alors que sa sœur a été indispensable dans les découvertes scientifiques. Bien que considérée comme la première femme astronome officiellement reconnue par ses contemporains (elle recevait une pension à ce titre), elle reste inconnue aujourd’hui.
Outre ces deux exemples, nombreuses sont les femmes de savants qui ont participé activement aux recherches scientifiques des hommes de leur entourage, qu’il s’agisse du père, du frère ou du conjoint. Certaines ont-elles mené seules des recherches ? Dans quels contextes ? Certaines ont-elles explicitement refusé ce rôle ou ce rôle leur a-t-il été explicitement refusé ?
Que signifie donc dans différents contextes sociaux être « femme de savant » ? Quel statut représente cette place dans l’absence de reconnaissance publique, le maintien dans l’ombre familiale, l’invisibilité sociale ?
Comment arrive-t-on à ce que ces femmes actives dans l’élaboration scientifique soient aujourd’hui ignorées, méconnues ou seulement qualifiées de « sœur de », « épouse de », « fille de ».
Dans le cadre du FEDER Sciences en mouvements d’elles, mené par l’Espace Mendès France pour lutter contre l’invisibilité des femmes dans les travaux scientifiques et contre les stéréotypes.
Programme
Matinée au collège Jean Moulin à Poitiers
10h30. Introduction par Stéphane Bikialo et Héloïse Morel
11h-11h15. Échanges
11h15-11h30. Pause
11h30-12h15. Paulze Lavoisier ou Madame Lavoisier ? Les multiples façons de contribuer à l’activité scientifique d’un mari savant
Par Patrice Bret, chercheur honoraire, Centre Alexandre Koyré (UMR 8560 CNRS-EHESS-MNHN).
Fille d’un riche fermier-général, mariée à un associé de son père avant l’âge de quatorze ans, en 1771, Marie-Anne Paulze est surtout connue par le beau portrait que David fit du couple Lavoisier en 1787. C’est à son époux, jeune, ambitieux et brillant chimiste de l’Académie des sciences, que la jeune adolescente sortie du couvent doit l’éducation soignée qui lui permet de l’aider dans ses travaux non seulement en recevant, selon la mode des salons du temps, mais en exerçant des fonctions plus rares chez une femme, mais tout aussi utiles pour l’avancement des sciences : celles d’assistante de laboratoire, de secrétaire, de traductrice, de dessinatrice, de graveur… jusqu’à devenir l’égérie de la « révolution chimique » conduite par son mari. Elle est allée au bout de ce qu’une femme du monde pouvait faire en matière de sciences, dans un anonymat de rigueur qui explique en partie un oubli relatif pendant deux siècles.
12h15-12h30. Échanges
Après-midi en streaming
14h-14h20. Introduction par Anne Jollet et Héloïse Morel
14h20-14h50. Les filles de Linné
Par Pascal Duris, professeur en épistémologie et histoire des sciences, université de Bordeaux.
Les filles de Linné ne sont pas seulement les siennes propres, Élisabeth-Christine, Louise et Sophie, admises en 1825 comme associées-libres à la Société… linnéenne de Paris. Les filles de Linné sont aussi celles qui, après que le naturaliste suédois ait par sa classification et sa nomenclature binominale des plantes considérablement facilité l’étude de la botanique, et que Jean-Jacques Rousseau, en correspondance avec lui, ait travaillé à en vulgariser la pratique auprès d’un public féminin, se sont passionnées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au XIXe pour les herborisations, la confection d’herbiers, et plus généralement pour la pratique des sciences naturelles. Mais la botanique linnéenne, fondée sur l’examen des organes sexuels des fleurs (étamines et pistil), met à mal la pudeur naturelle des femmes…
14h50-15h20. Qu’est-ce être femme de savants au siècle des Lumières ? Les jeux de l’invisibilité des traductrices de sciences
Par Patrice Bret, chercheur honoraire, Centre Alexandre Koyré (UMR 8560 CNRS-EHESS-MNHN).
De l’espace domestique à l’espace public, la traduction de textes scientifiques est l’une des activités offertes aux femmes ou conquises par elles dans le domaine des sciences au XVIIIe siècle. En prenant le cas d’épouses et autres figures féminines ayant eu une activité traductive attestée dans l’espace domestique ou intime d’un savant, on tentera de cerner les enjeux scientifiques et sociaux de la traduction féminine. On s’attachera particulièrement à évaluer la part variable de la traduction dans l’ensemble des activités scientifiques des « femmes de savant » (simple compétence linguistique ou palette d’activités ?), dans la construction sociale du savant et/ou du couple (jeux de l’anonymat dévoilé) et dans les représentations historiographiques depuis les grands dictionnaires biographiques du XIXe siècle jusqu’aux Gender Studies.
15h20-15h45. Échanges
15h45-16h. Pause
16h-17h. Table ronde
Introduction par Isabelle Lémonon
Avec Francesca Antonelli, doctorante en histoire des sciences à l’université de Bologne en cotutelle avec l’EHESS.
Elle abordera le parcours de Marie-Anne Pierrette Paulze-Lavoisier (1758-1836), connue comme femme et collaboratrice du chimiste Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794). Aujourd’hui étudiée surtout en fonction de son activité de traductrice, illustratrice et salonnière, il s’agira d’évoquer Madame Lavoisier comme « secrétaire » c’est-à-dire, selon l’usage qu’elle-même faisait de ce terme, de figure chargée de mettre à l’écrit les observations les plus diverses, des récits de voyage aux résumés des expériences de laboratoire. En se concentrant sur les Registres de laboratoire : quatorze cahiers de grands formats auxquels les deux collaborateurs confient les récits des expériences réalisées entre 1772 et 1788 qui révèlent une intervention assez constante de la part de Madame Lavoisier. C’est d’ailleurs elle qui, après la mort de Lavoisier en 1794, s’occupe de la conservation de ces carnets, avant qu’ils soient donnés aux Archives de l’Académie des Sciences. En suivant les traces laissées par Madame Lavoisier dans les Registres, et plus en général les manipulations auxquelles ces carnets sont soumis au fil du temps, cela amène à aborder d’une part les rapports entre écriture et pratique expérimentale et, d’autre part, l’accès des femmes aux savoirs scientifiques.
Et Kaori Kodama, chercheuse au Centre de documentation pour l’histoire des sciences et de la santé à la Casa de Oswaldo Cruz – Fiocruz, Rio de Janeiro, professeure associée à l’université Paris-1, Panthéon-Sorbonne.
La pièce Gutenberg (1869) de Juliette Figuier et la question de l’autorité des pièces de théâtre scientifique de Louis Figuier
La présentation a pour but d’aborder la pièce Gutenberg, drame en 5 actes (Paris, 1869), et en même temps d’analyser la trajectoire de son auteur, Louise Juliette Bouscaren Figuier (1827-1879). Elle était écrivain de romans sur la région du Midi et épouse du vulgarisateur Louis Figuier. La pièce n’a pas été jouée dans les théâtres parisiens de l’époque due à la concurrence d’une autre pièce du même nom, écrite par l’écrivain Édouard Fournier et mis en scène au Théâtre de l’Opéra en 1869. Malgré ces débuts malheureux, le texte Gutenberg, avec quelques modifications, a été publié plusieurs fois par le vulgarisateur scientifique Louis Figuier (1819-1894) dans le cadre du promouvoir l’entreprise qu’il a appelée « théâtre scientifique », réalisée par lui principalement après la mort de sa femme en 1879. Dans les éditions postérieures, Gutenberg n’est plus attribué à Madame Figuier. Comme pour d’autres pièces à thème scientifique, écrites par Juliette Figuier, les textes ont été appropriés par son mari, qui se bénéficiait d’un nom légitime pour écrire sur des sujets scientifiques. Le texte de Gutenberg, cependant, comporte plusieurs éléments qui ont caractérisé la propre écriture de Juliette dans les romans et les comédies. Il est prévu de discuter à travers cette trajectoire comment ont été renforcés l’effacement et l’invisibilité des femmes dans une histoire des médiateurs des sciences.
17h-17h30. Échanges
En complément
Mercredi 17 mars – 18h30
Curie, Jolliot-Curie : deux couples scientifiques
Conférence de Natalie Pigeard-Micault, historienne, responsable des ressources historiques du Musée Curie, Paris et ingénieure CNRS.
Dans le cadre de l’exposition L’Amour fou, Musée Sainte-Croix.
Légende visuel : Marie-Anne Pierrette Lavoisier, Lavoisier dans son laboratoire : Expériences sur la respiration de l’homme exécutant un travail, coll. part.