Conférence de Laurent Vidal, enseignant chercheur en histoire à La Rochelle Université et directeur du laboratoire Centre de recherche en histoire internationale et Atlantique (CRHIA).
L’histoire de la modernité est d’abord celle d’une discrimination : en érigeant la vitesse en modèle de vertu sociale, les sociétés modernes ont inventé un vice, celui de la lenteur – cette prétendue incapacité à tenir la cadence et à vivre au rythme de son temps.
Partant d’une violence symbolique et d’un imaginaire méconnu, il s’agira de faire la genèse des hommes lents, ces individus mis à l’écart par l’idéologie du Progrès. On y croisera tour à tour un Indien paresseux et un colonisé indolent à l’époque des grandes découvertes, des ouvriers indisciplinés dans le XIXe siècle triomphant ; plus proches de nous, le migrant en attente ou le travailleur fainéant restant en marge de l’obsession contemporaine de l’efficacité.
Mais il conviendra de révéler aussi la façon dont ces hommes s’emparent de la lenteur pour subvertir la modernité, à rebours de la cadence imposée par les horloges et les chronomètres : de l’oisiveté revendiquée aux ruses déployées pour s’approprier des espaces assignés, les hommes lents créent des rythmes inouïs, jusque dans les musiques syncopées. En inventant de nouveaux modes d’action fondés sur les ruptures de rythme – telles les stratégies de sabotage du syndicalisme révolutionnaire –, ils nous offrent un autre regard sur l’émancipation.
Dans le cadre du cycle de conférences Amphis des lettres au présent, en partenariat avec l’UFR Lettres et langues, université de Poitiers.