Conférence de Denis Woronoff, professeur émérite université de Paris I.
L’amorce d’un inventaire de la mémoire ouvrière en Poitou-Charentes donne l’occasion de réfléchir au sens de cette démarche. C’est une préoccupation constante des historiens de la période contemporaine d’exploiter la ressource des témoignages écrits, oraux, imagés, de susciter des prises de parole.
Le monde du travail s’exprime peu ; il conserve mal. Pourtant, sans l’appui de ces témoignages à exploiter ou à faire naître, il est clair que l’histoire de notre société restera mutilée. D’où un effort de collecte, porté par des institutions culturelles ou scientifiques mais aussi par des associations d’anciens travailleurs, qui vise à constituer un socle d’informations, rendant possible une appropriation réfléchie du passé. Les limites de l’exercice ne doivent pas être négligées. Toute trace de mémoire mérite critique, confrontation. Le récit d’une grève ou la description d’un atelier devraient idéalement être conduits à plusieurs voix. L’expérience montre que les porte-paroles syndicaux sont souvent sur-représentés dans la collecte et que des catégories entières – les ouvrières, les immigrés -, manquent à l’appel ou peu s’en faut. D’autre part, la mémoire n’est pas l’histoire ; elle en est un des matériaux. Cela dit, la richesse de ce gisement emporte l’adhésion. Que saurait-on des conditions précises de travail – par exemple les gestes, le dispositif des machines etc. – sans la parole ou l’image ? Qu’apprendrait-on des relations humaines qui se nouent entre la maîtrise et les ouvriers du rang, si nous n’en avions pas recueilli l’écho ? Comment combiner l’histoire du collectif ouvrier et les trajectoires individuelles autrement qu’en exploitant ces témoignages ? Hors du travail, le quotidien de la famille ouvrière peut aussi trouver sa place légitime dans une histoire globale, qui éclaire notre présent.
Professeur émérite d’histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Denis Woronoff s’est consacré à l’histoire de l’industrie, des techniques et du patrimoine industriel, principalement dans le domaine de la sidérurgie. Il a participé à la fondation du CILAC (association française pour le patrimoine industriel) et est conseiller de plusieurs musées et centres de culture technique.
Parmi ses publications : Histoire de l’industrie sidérurgique pendant la Révolution et l’Empire, Editions de l’EHESS, 1984, Histoire de l’industrie en France, du XVI° siècle à nos jours, Le Seuil, 1994 ; François de Wendel, Presses de Sciences-Po, 2001 ; (édit.) Les images de l’industrie, de 1850 à nos jours, Editions du CHEFF, 2002 ; La France industrielle, gens des ateliers et des usines, 1890-1950, Le Chêne, 2003, (co-édit.), L’acier en France, produits et marchés, de la fin du XVIII° siècle à nos jours, Editions universitaires de Dijon, 2006, (co-édit.), Politiques industrielles d’hier et d’aujourd’hui en France et en Europe, Editions universitaires de Dijon, 2009.
Cette conférence fait partie de la programmation 2009 de l’initiative Inventaire des mémoires ouvrières de Poitou-Charentes organisée en partenariat avec le Service de l’inventaire général du patrimoine culturel de la Région Poitou-Charentes.
